La politique de l’enfant unique en Chine, même si elle tend à comprendre de plus en plus de souplesse dans certaines villes (comme Shanghai) ou dans certaines situations, influe la société chinoise d’une manière bien plus importante que purement démographique.
Sociologiquement et psychologiquement, c’est tout un pan du confucianisme et de la culture millénaire chinoise qui est ébranlée, ayant des répercussions dans la vie de chaque jeune Chinois. Essai
Les règles
- Officiellement, les couples chinois n’ont le droit de n’avoir qu’un seul et unique enfant. Avec les exceptions suivantes :
- A la campagne, si le premier né est une fille, une deuxième tentative est accordée.
- Dans les villes, si l’enfant est le dernier garant de la lignée, on accorde aussi une deuxième chance d’avoir un garçon.
- Partout, si l’on a plus d’un enfant, on peut payer des amendes, et l’on ne bénéficiera pas d’aides durant la vie de l’enfant « de trop ».
- A Shanghai maintenant, certains couples ont l’autorisation d’avoir un deuxième enfant.
- Les minorités ethniques ont le droit d’avoir 2 enfants
Les faits
- A la campagne, nombreuses sont les familles nombreuses, à l’instar notamment des chefs de villages qui eux mêmes ne respectent pas les lois du Parti. Comme dans toutes les sociétés essentiellement rurales et sans système de retraire développé, les enfants sont la garantie vieillesse des parents.
- Les membres du Parti, de l’Armée, d’une manière générale et sans vouloir tous les mettre dans le même sac, ont souvent plus d’un enfant, mais évitent grâce à leur guanxi (connexions) les amendes. J’ai plusieurs fois rencontré des enfants des cadres du Parti qui étaient 4 ou 5 filles dans la famille.
- Les Hans qui sont envoyés dans des régions comme le Xinjiang ou le Tibet ont également sans peur des réprimandes la possibilité d’avoir 2 enfants.
La fin du confucianisme
Dans la tradition confucéenne, la filiation du nom est très importante. Avoir une grande famille est condition de respectabilité et de respect des traditions. Les femmes doivent apprendre les tâches ménagères, car ce sont elles qui seront les maîtresses du foyer, et doivent donc prouver à leur futur mari leurs capacités. Les hommes ont la lourde responsabilité de porter le nom de leur père. L’aîné deviendra rapidement le chef de famille et veillera à l’honneur et au respect des aïeux.
Aujourd’hui, l’enfant unique perturbe les familles. Avec un seul enfant, des tensions entre grands parents apparaissent. Qui va garder le petit fils ? Les grands parents paternels (grand père = 祖父, zǔ fù / grand mère = 祖母,zǔ mǔ ) ou les grands parents maternels (grand père = 外公, wài gōng / grand mère = 姥姥, lǎo lǎo ) ? En effet, avec le développement de la société chinoise et les femmes travaillant plus, la plupart des enfants sont tous gardés et élevés pendant les premières années de leur vie par les grands parents, créant un premier décalage avec leurs parents. Quand les parents se tuent au travail pour assurer à leur unique enfant le meilleur, celui-ci vit dans une bulle protectrice, souvent à la campagne, avec des vieux hors du monde actuel.
L’enfant roi pressurisé
L’enfant est donc roi, chéri, adulé (mal élevé ? ) jusqu’à son entrée à l’école. Et là, c’est l’inverse. Jusqu’à l’obtention de son diplôme final (souvent un master d’université), il subira une pression monumentale pour être le meilleur, le premier, quitte à écraser les autres. On n’a qu’un enfant, il a intérêt à réussir nom de nom !
Pour les plus chanceux, ou les plus fortunés, ou ceux qui ont le meilleur réseau, ils envoient leur rejeton à l’étranger, avec, par ordre de préférence des pays : Etats-Unis / Canada / France / Angleterre / Australie / Italie pour y suivre les meilleures formations (les plus chères aussi). Pour les autres, ce sera l’université Beida ou Tsinguha à Pékin, éventuellement la meilleure université de leur province, au pire, celle qu’ils pourront.
La famille agrandie
Pas de frère, pas de sœur, pas vraiment de parents non plus d’ailleurs, seuls des vieux à sourire édenté qui aiment leur progéniture sans savoir comment l’éduquer. Alors on se cherche des substituts. Des copains de fac, des collègues de travail venant du même village, au pire de la même province), des rencontres fortuites.
Une grande naïveté en découle, avec des jeunes gamins, une fois diplômés, embauchés pour moins de 500€ par mois à bosser comme des dingues (ou à faire semblant devant leur ordinateur, connecté à QQ) et une extension de famille.
Les amis deviennent des Gege (grand frère), Didi (petit frère), Jie Jie (grande soeur) et Mei mei (petite sœur).
Il n’est pas rare qu’un Chinois vous présente d’ailleurs ses amis comme s’il s’agissait de leurs frères et sœurs (ce qui est perturbant quand on arrive en Chine au début, car on ne sait pas vraiment qui est qui..). Ils revêtent une importance capitale, et sont les seules sources de confession de ces adultes ayant grandi sans murir (la psychiatrie et la psychologie sont très peu développées en Chine).
Le retour du refoulé
Mais cette famille de « gamins orphelins », si elle donne une impression de repères, n’est qu’en réalité illusion. Une personne perdue plus une personne ne font pas deux personnes sachant où elles vont. Et alors divergent les esprits. Certains vont sombrer dans des extrêmes (sexe, drogue, alcool, trafics en tout genre) juste pour se donner l’impression d’exister, maintenant qu’ils sont libres, sans autre pression que celle de rattraper plus vite que les autres leur enfance et leur adolescence perdue.
A l’inverse, certains vont rejeter les valeurs de leur monde, ayant été élevés par des grands parents ayant souffert du maoisme, mais imprégnés de confucianisme, ils vont chercher à revenir aux sources, à développer des valeurs autres que celles de l’argent.
Cette deuxième catégorie est celle qui prend de plus en plus d’importance en ce moment en Chine. Marre de travailler comme des boeufs, marre de l’argent roi, ils créent des associations humanitaires, s’essayent à l’art, à la musique, à la photo. Voyagent seuls en routard, et non plus en groupe de 40 comme leurs parents.
Prennent le temps de vivre.
Le monde du travail en danger ?
Mais avec l’arrivée du jeune diplômé dans l’entreprise, il va falloir perdre l’habitude d’être assisté, d’être au centre de tout. Même dans les idées, les débats, on ressent en Chine une certaine immaturité (naïveté ?) tant dans les idées que dans les comportements enfantins. La productivité s’en ressent souvent, même si sur le terrain, les idées de dernière minute, les astuces sont plutôt nombreuses (et d’ailleurs plus venant de gens non diplômés)
D’ailleurs, on peut voir en Chine nombre de jeunes femmes et de jeunes hommes avec des peluches (notamment dans les boîtes de nuit où il est très fréquent). Panda, Hello Kitty, Snoopy, tout y passe : La moumoute sur le volant de la voiture, les appui-têtes, la carrosserie, le porte monnaie, les sacs à main, la recherche des éléments de l’enfance est bien plus présente que dans les pays occidentaux.
Bref, l’enfant unique en Chine provoque des troubles bien plus importants que le simple décalage démographique, certes très problématique pour la Chine, puisqu’aujourd’hui, il manquerait pas loin de 10 millions de filles, créant des situations de détresse, notamment dans les villages perdus dans la campagne (voir le film Blind Mountain).
Plus d’info sur l’enfant unique et l’abandon raté du confucianisme, lire Huo Daton, La Chine sur le Divan
Pour aller plus loin
Lorsque les communistes ont pris le pouvoir en 1949, la Chine compte environs 560 millions d’habitants. La mentalité chinoise à l’égard des enfants était la suivante : » Plus de bras, plus de force ». Le taux de fécondité est à ce moment de 5,7 enfants par femme.
(…) En 1978, Deng Xiaping fixe que le nombre de chinois ne doit pas dépasser 1,2 milliard avant l’an 2000. C’est en 1979 que le gouvernement chinois crée la politique de l’enfant unique. Le slogan de celle-ci est « un couple, un enfant ». Cette politique ne se contente plus de conseil, mais a force de loi. Elle figure, depuis 1982, dans la constitution chinoise.
400 millions d’enfants ne sont pas nés. C’est la mesure statistique de la « réussite » de la politique de l’enfant unique initiée par le gouvernement chinois dans les années 70. Cette politique malthusienne succédait au natalisme catastrophique – « Plus on est de fous, plus on riz »-proné par Mao dans les années 50.
Merci Charles pour cet article de grande qualité !
Je pense aussi que la politique de l’enfant est une des du manque de maturité de beaucoup de Chinois d’une vingtaine d’années. Et c’est tout aussi flagrant dans les grandes villes où les enfants sont encore plus chéris et protégés.
— Woods
@Olivier : l’esprit bloggeur, parce que j’ai fait référence à d’autres blogs ? relis mes posts depuis 3 ans et tu verras que je ne t’ai pas attendu pour citer des sources intelligentes 😉
Excellent ton article Charles, merci 🙂
Analyse très pertinente et très réaliste en effet, et malheureusement je ne vois pas quelles peuvent être les solutions…
Oui c’est sur, l’esprit bloggeur il l’a, et depuis bien longtemps 🙂
Cédric
dramatique dans tous les domaines!
Excellent article, ça dit tout ce que je pensais sans réellement le formuler de cette politique !
C’est clair que au travail, les enfants de la première génération d’enfants uniques sont pénibles. Je serais presque tentée de dire qu’ils avaient encore des cousins / cousines avec qui ils ont été élevés donc ils ont plus ou moins des frères ou soeurs. Alors que les plus jeunes (ceux qui ont moins de 10-15ans) n’en ont plus : ça risque d’être dur.
Bonjour.
Je suis à la recherche du texte officiel sur cette « règle de l’enfant unique.
Ton article m’a beaucoup appris.
Tu pourras rajouter dans ton paragraphe sur cette règle que:
« »lorsque les deux époux sont eux mêmes enfant unique ils peuvent avoir un second enfant.
Bonne journée.
La politique de l’enfant unique a des consequences difficiles, mais je ne doute pas que la Chine eut souffert bien plus sans cette limitation de la demographie.
>> avec le développement de la société chinoise et les femmes travaillant plus.
Ce sont les nationalistes, puis surtout les communistes qui ont emancipe les femmes. Donc ce n’est pas vraiment l’ouverture du pays qui a subitement envoye les femmes travailler.
>> On n’a qu’un enfant, il a intérêt à réussir nom de nom !
Surtout que ce sont les enfants qui doivent subvenir aux besoins de leurs parents ages.
>> Les amis deviennent des Gege (grand frère), Didi (petit frère), Jie Jie (grande soeur) et Mei mei (petite sœur).
>> Il n’est pas rare qu’un Chinois vous présente d’ailleurs ses amis comme s’il s’agissait de leurs frères et sœurs
Oui, mais cela n’est pas du a la politique de l’enfant unique. C’est la maniere traditionelle (et sans doute issue du confucianisme) de se referer a ses amis en utilisant ces termes hierarchiques familiaux.
>> à développer des valeurs autres que celles de l’argent.
>> Marre de travailler comme des boeufs, marre de l’argent roi.
La aussi c’est surtout un re-equilibrage du au vide spirituel et moral de l’ere Maoiste puis de l’ere « materialiste » actuelle en Chine.
Le grand retour de spicyhotpot !!! LOL
Merci de tes précisions !
Ah ben surtout merci a toi pour cet accueil 🙂
Et toujours de bons sujets et de belles photos sur ton blog.
Effectivement, l’article fait bien le tour du problème avec les nuances indispensables.
On pourrait ajouter qu’on observe souvent chez les parents et les grands-parents un phénomène de rattraper quand les conditions le permettent. Ayant grandi souvent dans conditions très simples, voire dans le manque, ils veulent se rattraper avec leur progéniture en leur offrant tout ce qu’ils n’ont pas eu.
Pour revenir sur le manque de maturité, je me demande, au fil de mes observations, si il n’est pas davantage présent dans les classes moyennes et aisées en général. A Shenzhen, on rencontre beaucoup de jeunes venant de familles très modestes de diverses provinces (Hunan et Sichuan notamment), ils sont venus chercher du travail et ont une maturité qu’on trouve moins à Pékin ou Shanghai par exemple.
On peut dire aussi que l’école commune favorise peu l’émancipation et l’autonomie. Ma fille a passé 5 ans dans une école pékinoise toute simple dans un hutong, ensuite pour un problème de hukou, elle est retournée au lycée français, j’ai vu la différence très vite.
Bonjour Charles,
J’espère que tu te portes bien. J’ai entendu dire que depuis peu, les étrangers présents sur le territoire chinois, et ayant épousé un / une chinois(e) sont aussi assujetis à la loi de l’enfant unique. En sais-tu plus sur la question ?
Amicalement.
A bientôt.
Chrisotphe.
Salut Christophe, et désolé de mon retard pour te répondre….
En fait, depuis peu en effet, la loi sur les couples mixtes a changé.
Si l’un des deux parents est Chinois, alors l’enfant devient chinois et peut être de la nationalité de l’autre parent…
C’est pour cela que de nombreux couples font le voyage à HK pour que Madame puisse accoucher en dehors du territoire chinois et donner à leur enfant la nationalité non chinoise.
Cette loi semble être rétroactive…