Arnaud de la Grange, ancien correspondant de guerre, puis correspondant permanent à Pékin pour le Figaro, publie son premier roman, intitulé Les Vents noirs. Critique.
Ce qui est sûr, c’est qu’Arnaud a eu plusieurs vies, et qu’il les a toutes vécues pleinement, avec sans doute aujourd’hui une once de nostalgie, voire de mélancolie quand il y repense.
Des steppes de Sibérie jusqu’au fin fond du Taklamakan, en passant via Harbin, il nous conte la vie (la fuite ?) de plusieurs personnages (qui n’en font qu’un seul, lui-même, car je vous l’ai dis, il a eu plusieurs vies) à cheval entre deux . Entre deux tout.
Un roman à cheval entre deux époques (la fin de la guerre 14-18 et l’avènement de celle de 39-45), deux mondes (l’Orient et l’Occident), deux extrêmes (le froid sibérien, et la chaleur du désert chinois) mais avec un lien commun : la solitude et la recherche de soi.
A lire ce roman, oui, j’en suis convaincu, Arnaud a vécu les vies qu’il raconte, tant les descriptions des lieux, des paysages, des personnes, des odeurs, des couleurs, des températures marquent le lecteur et lui permet d’avoir chaud, de trembler, et de vibrer avec les héros du livre.
Celle de Verken, soldat du bataillon colonial sibérien (qui a vraiment existé oui), dans le desert glacé et glaçant de Sibérie.
Celle de Thelliot, l’archéologue espion enfermé dans ses reliques et dans ses ambitions, perdu dans l’une des régions les plus fascinantes au monde, le Taklamakan, (lire à ce sujet The Great Game).
Celle des ces moines reclus dans les monts flamboyants qui vivent une vie que l’on sent qu’Arnaud aureit voulu vivre, avec cette citation magnifique :
L’ascèse ne bannit pas la jouissance du beau
Et d’une manière générale, celles de tous les personnages du roman qui, comme moi d’ailleurs, sont amoureux du désert, des grands espaces vides, du silence et de l’Histoire.
Mais revenons un peu au sujet du livre, voici une présentation de l’éditeur, JC Lattès :
Au début du XXe siècle, entre la Sibérie et le désert du Taklamakan, paysages grandioses dont la démesure fait écho à celle des passions humaines, un homme part sur les traces d’un autre. Le lieutenant Verken doit, pour le compte du gouvernement français, arrêter un archéologue explorateur, Emile Thelliot.
Au fur et à mesure qu’il s’approche de sa proie, l’officier découvre un grand maître, un homme passionné, un esprit dont l’érudition et la mémoire défient les plus grands, un stratège politique et militaire, un savant dépassé par ses rêves.
Si opposés de nature, ces deux hommes, emportés par les vents violents du destin, poursuivent une même quête, celle d’un sens qui les dépasse et les maintient en vie.
Un grand roman au souffle épique qui est aussi une réflexion sur les blessures intimes des histoires familiales et de la guerre, sur l’inadaptation de certains hommes à la vie ordinaire, sur le rêve, l’obsession et la folie humaine
Déjà, rien que le titre donne envie : les Vents noirs : comme si le vent avait une couleur !
Justement, les vents du roman ont une couleur, celle de la mélancolie (voir la théorie des humeurs dans l’Antiquité, où la mélancolie est associée à la bile noire), ce roman est donc une histoire de mélancolie…
Et le sous titre : On peut tuer des hommes, pas des souvenirs.
Rebelote sur la mélancolie, mais avec une notion de violence, la mort, le meurtre. Car ce livre n’est pas qu’une histoire de grands espaces, mais bien celui de grandes violences. Violences du temps sur les choses (avec ces soldats chinois qui veulent renfouir sous les dunes, les découvertes archéologiques d’une civilisation passée), violence de l’Homme sur l’Homme, entre les guerres prussiennes (les Blancs contre les Rouges) et chinoises (les Hans contre les chefs de guerre ouïghours) et enfin violence de l’orgueil, ce pêché facétieux qui rend fou les plus insensés.
Le Gandhara, royaume perché au-dessus de trois civilisations. Là, s’étaient mêlées les influences indienne, perse et hellénistique … Pour Emile Thelliot, le Gandhara était plus qu’un sujet de recherches. Dans ce mariage parfait entre l’Asie et l’Europe, sa propre vie puisait sa raison d’être. Lui-même ne se rêvait-il pas des deux mondes?
Il y a du Pratt dans ce roman, on imagine facilement Corto Maltèse accoudé au bar de l’Atmosphère (bar qui a réellement existé, mais à Kaboul, où Arnaud a passé du temps en tant que correspondant de guerre) a contempler la lie des aventuriers d’alors, les plus fous, les plus audacieux, ceux pour qui le mot honneur compte encore plus que l’argent.
Il y a aussi du Buzzatti (l’auteur du K notamment) car les héros sont en tous animés non pas d’une quête extérieure, mais bien intérieure, en fuite non des autres, mais d’eux mêmes, de leur passé.
Il manque peut être une carte géographique des lieux du roman pour encore mieux s’imprégner de l’histoire (à la prochaine édition ?) mais ce premier roman se dévore, et si , comme moi, vous avez voyagé dans ces coins du bout du monde, vous ne pourrez qu’adorer !
Grand reporter dans l’âme, directeur du service Étranger du Figaro, Arnaud de La Grange côtoie depuis longtemps les grands espaces, qui sont pour son imagination et sa sensibilité comme autant de théâtres d’opérations. Son roman, le premier à ce jour, montre qu’il sait les faire aimer. Sa belle plume s’attarde sur des horizons, des reliefs, pour montrer combien la géographie peut peser sur la nature humaine
Etienne de Montety, Le Figaro
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