Vous l’avez déjà sans doute lu, mais je tiens à en parler malgré tout.
J’avais commencé par son deuxième roman (qui n’est pas la suite du premier) Caprices de Chine , que j’avais reçu comme cadeau de Noël par mes parents. Bouquin qui n’est ni un essai, ni une étude, rien qu’un roman, une suite d’histoires, mais tellement bien senties, remplies d’anecdotes, de termes et d’expressions chinoises qu’on ne peut, une fois commencé, s’arrêter de le dévorer. Mais j’en parlerai plus tard.
Cette fois, dans, le train qui me ramenait de Shanghai à Pékin hier, je l’ai lu d’une traite, sans m’arrêter, même debout dans le couloir en fumant ma cigarette Zhong Nan Hai (中南海), tellement c’est fort et puissant.
L’auteur, Stéphane Fière (je ferai un article sur lui prochainement), se met à la place d’un mingong (un paysan ouvrier migrant), et raconte comment il atterri à Shanghai, un froid matin d’hiver, avec son père, pour devenir esclave sur l’un des chantiers multiple de Shangai.
Voici ce que dit son éditeur à propos de ce livre (publié en 2007, écrit en 2004). J’ai volontairement coupé un passage qui dévoile à mon avis l’un des éléments clefs du livre.
Le roman décrit la vie quotidienne d’un « mingong », (ouvrier migrant de l’intérieur), paysan déraciné à Shanghai. Portrait réaliste et sans complaisance de Fu Zhanxin, paysan devenu manœuvre ; ses amours, ses appréhensions, ses joies, mais aussi les pièges, la brutalité, l’arbitraire, l’absurdité et la cruauté inhérents à cette grande métropole où raison et morale ont disparu. La perte progressive des illusions et de l’innocence de ce jeune paysan jeté en pâture dans la jungle shanghaienne, (…). La noirceur de l’âme humaine est insondable, le cauchemar permanent, seul la solidarité indestructible et spontanée de ces paysans déracinés entre eux témoigne d’une part d’humanité. L’ouvrage raconte dans une oralité pleine de distance et d’ironie les conditions de vie et de travail d’un groupe de laissés pour comptes, exclus de la course au progrès, balayés par la croissance économique de la Chine actuelle, broyés entre un passé impitoyable et un futur sans avenir. Des personnages emportés par la tornade d’un développement économique effréné qui tentent désespérément de conserver la tête hors de l’eau.
J’adore vraiment le style de Stéphane Fière. Sans prétention, sans analyse sociologique, juste des mots, des sentiments, et une connaissance profonde de la Chine (je ferai un article bientôt sur les expressions chinoises qu’il nous fait découvrir). Ça sent le vécu, malgré les fautes d’orthographe ça et là dans le récit, le livre ne se lit pas, il se dévore, et place le lecteur dans une tension permanente.
Il ne s’agit pas d’un drame, mais bien d’une tragédie. La vraie, celle des Grecs, celle où le destin est plus fort. Au fur et à mesure du roman, tous les éléments se mettent en place et l’on attend qu’une seule chose, la fin et l’ampleur de la tragédie. Qui ? Comment ? Pourquoi ? Qui a les réponses, nul ne le sait. Comment s’en sortir ? D’ailleurs le peut-on dans cette Chine contemporaine qui a sacrifié ses paysans, notamment lors de l’entrée de la Chine dans l’OMC.
Les personnages sont attachants, on se glisse facilement dans leur peau, on croit à leurs rêves, et surtout on change son regard sur la Chine quotidienne.
Quand on connaît le quartier Xintiandi à Shanghai, quand on vit en Chine et que l’on fréquente les gardiens d’immeubles, les coiffeuses du soir, les ayis, et tous les petits métiers de rue, souvent tenus par des déracinés venus de leur campagne, on est réellement touché par cette histoire. On a beau savoir leur détresse, on a beau deviner leurs souffrances, ce livre bouscule toutes nos idées reçues et nos pseudo croyances.
Vivement le tome 2 ! Et les autres. Un auteur que je vais essayer d’interviewer.
Critique du Monde
Le jour où le manuscrit de Stéphane Fière lui est arrivé par la poste, Gêneviève Imbot-Bichet a d’abord ouvert des yeux ronds. En règle générale, cette éditrice du 5e arrondissement, à Paris, ne reçoit que des textes en chinois, la spécialité de Bleu de Chine, la petite maison qu’elle a fondée à Paris. Et voilà que soudain, dans une grosse enveloppe timbrée à Shanghaï,lui tombe entre les mains cette créature hybride: un roman écrit en français, mais plongeant directement dans la vie quotidienne de l’une des catégories sociales les plus ignorées, méprisées du monde chinois. Et à la première personne, qui plus est. Le narrateur, Fu Zhanxin, est un mingong, l’un de ces innombrables paysans déracinés (ils seraient 200 millions en Chine) transformés en chair à béton sur les chantiers de construction des grandes villes chinoises.
Quant à la langue, elle est incroyablement vivante, authentique. Qui peut avoir écrit cela? Pensant qu’il s’agit d’un texte chinois traduit en français, l’éditrice soupçonne ensuite le correspondant français d’un grand journal, déguisé sous un pseudonyme. Et puis qu’importe. Malgré la pile de manuscrits qui font la queue sur son bureau, Geneviève Imbot-Bichet prend la liasse et se plonge dans la lecture de ce qui deviendra La Promesse de Shangai , l’un des livres les plus étonnants qu’elle ait jamais publiés.
D’abord, il fallait trouver l’auteur. Après quelques mésaventures, l’éditrice découvre finalement que l’écrivain n’est ni chinois, ni journaliste, ni traducteur. immergé dans la communauté chinoise depuis plus de vingt ans, Stéphane Fière est en fait un enfant de bourgeoisie française dont la trajectoire a brusquement bifurqué au début des années 1980. Après avoir obtenu son diplôme de sciences Pô, le jeune homme (il est né en 1960) est parti travailler pour une société chinoise d’import-export, à Taïwan. Et là, c’est la révélation. “En France, dans mon milieu social, chez les jésuites, à Sciences Pô, je m’étais toujours senti conforme en apparence, mais en réalité très extérieur, presque exclu, explique-t-il, dans le salon de l’appartement parisien qu’il occupe quand il n’est pas à Shanghaï. A Taïwan, ça a été le contraire: je n’aurais pas été plus étranger si j’avais débarqué sur Mars et pourtant, j’étais chez moi.”
Installé de guingois dans un fauteuil, Stéphane Fière n’est pas un écrivain policé. C’est un homme brusque, blagueur, imaginatif et affreusement angoissé, comme le confirme son éditrice: “j’ai rarement eu un auteur aussi amusant, mais il lui arrive de m’envoyer trente mails par jour.” Pour autant, sa vie n’a pas été guidée par la recherche de la sécurité. Avec le recul, cela ressemblerait plutôt à une succession de sauts périlleux, depuis le jour où il a quitté la France. Marié à une Chinoise, il part à Los Angeles en 1986, monte avec sa femme deux très prospères sociétés d’accessoires de mode (un domaine auquel il ne connaissait rien), se retrouve à la tête de quatre-vingts salariés, puis s’arrête au bout de huit ans, par besoin de “faire autre chose que de gagner de l’argent”. S’inscrit en master à Harvard, perfectionne sa maîtrise du mandarin, soutient une thèse sur l’évolution du bureau politique entre la mort de Mao et le début des années 1990, revient en France travailler dans le Sentier, se voit laminer par une vague d’immigrés clandestins chinois qui cassent les prix, plie bagage et s’installe finalement à Shanghaï, où sa femme a trouvé du travail.
Il est guide-interprète à la petite semaine quand un matin, sur une impulsion qu’il ne s’explique pas, il entre dans la bibliothèque centrale de Shanghaï avec son ordinateur portable. Et se met, sans projet particulier, à écrire ce qui va se transformer, un jour après l’autre, en un roman passionnant, “je n’avais pas l’idée d’être publié, même pas de plan véritable. Je m’asseyais là, de 9 heures à 17 heures, toujours à la même place et j’attendais que quelque chose vienne. Certains jours sont passés sans que j’écrive un seul mot.”DENREE PERISSABLE
Progressivement, le personnage de Fu Zhanxin émerge pourtant de ce curieux état de siège, parlant d’une voix tour à tour taquine ou sérieuse, roublarde ou coléreuse, mais le plus souvent ironique et jamais apitoyée. Sa vie est celle, épouvantable, des mingongs, les “buffles de chantier”, “j’ai souvent connu des travaux difficiles, pour payer mes études, observe l’auteur pour expliquer le choix de ce personnage. Et je me suis toujours senti proche des plus démunis.”
Expropriés de leur ferme par le comité local du Parti, Fu Zhanxin et son père se retrouvent manoeuvres sur un immense chantier où travaillent des centaines d’hommes: il faut bien que pousse la Chine nouvelle, celle des gratte-ciel, celle de la devise “Enrichissez-vous”, prônée par les autorités. Mais à quel prix! Aucune mesure de sécurité, des salaires misérables, des dortoirs exigus et la crainte d’être chassé à la plus petite défaillance. Une toux? Un achat dans une pharmacie? Un retard? Le contre-maître répond que sur son chantier on n’emploie ni les malades ni les handicapés physiques et que sa société de construction n’est pas un centre de repos. Un mingong, autrement dit, n’est guère plus qu’une “marchandise trop abondante pour être précieuse, denrée périssable, sans poids ni bruit”.
Extrêmement précis, décrivant sans ambages la corruption du système et son cynisme, le livre vient d’être soumis à trois éditeurs chinois. Son éditrice espère qu’il pourra être traduit sans coupes – ce qu’elle exige – mais elle en doute. Il faut dire qu’il s’agit d’un sujet sensible: les autorités de Pékin voudraient bien “nettoyer” la ville de son million de mingongs, à l’approche des Jeux olympiques de 2008. Et parlent, depuis peu, de les renvoyer chez eux, sans autre forme de procès, une fois que tous les gratte-ciel auront poussé.Raphaëlle REYROLLELe Monde 2, 2 déc 2006
Tu m’as convaincu, ce livre à l’air passionant !!
Bonjour
J’ai lu ce livre suite a la lecture de cet article, il est vraiment genial, il se lit tres bien!
Je le trouve tres pertinent, et il est tres facile de s’identifier a certaine des situations decrites dans le livres.
A lire absolument, pousse a de saines reflexions